
L’auteur
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.- Tweets by @GregQuelain
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Les débats sont nombreux dans la société sur ce qui est appelé « l’écriture inclusive ». Mais concrètement qu’est-ce que cette écriture ? Pourquoi choisir de l’utiliser et comment faire ?
Tout d’abord il faut savoir qu’on doit cette revendication aux mouvements féministes. Elle est née dans le but de ne sortir de l’invisibilisation des femmes dans les discours et les textes. C’est une critique de la langue mais aussi des inégalités dans la société. Cette écriture a notamment été développé pour faire face à la loi qui s’impose et qu’on nous apprend à l’école : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Vous vous dites peut-être que cette règle est seulement là pour simplifier la langue ou la langue française a toujours été comme ça… Il n’en n’est rien.
Soyons très clairs là-dessus : la réponse est non. Comme tout élément culturel, une langue est vouée à changer. Elle évolue constamment et pour preuve, il suffit de voir que chaque année de nouveaux mots font leur entrée dans le dictionnaire français.
De fait, au Moyen-Âge on parlait de mairesse ou encore de cheftaine sans que ça dérange. Puis au bout d’un certain temps, les hommes ont dit “Stop”…
Ce sont les 17e et 18e siècle qui ont vraiment marqué une évolution et l’ancrage de cette loi de la supériorité du masculin… et d’ailleurs on débattait déjà du terme d’autrice à cette époque-là. Mais si cette question vous intéresse, je vous invite à lire les travaux des linguistes comme Laélia Véron, Eliane Viennot ou Julie Abbou qui ont travaillé sur cette question plus en profondeur.
Concernant la simplification de la langue, cela pourrait se tenir, mais en réalité c’est surtout qu’on nous a appris cette langue sous cette forme-là, donc c’est habituel pour nous, “normal”. Mais si demain un enfant grandit avec une nouvelle écriture, par exemple avec les règles d’inclusivité, ça lui paraîtra lui aussi normal.
Imaginons une universitaire née en Russie, elle va maîtriser parfaitement le cyrillique. Maintenant donnons un texte en cyrillique à un universitaire né en France et n’ayant pas appris cet alphabet, et bien il ne le comprendra pas.
Et bien avec l’écriture inclusive c’est pareil. Nous ça peut nous choquer, nous donner l’impression d’être perdu parce que l’on ne l’a pas appris de cette manière-là, mais ce n’est pas pour autant que c’est plus complexe ou que ça ne doit pas exister. C’est simplement différent de notre norme, de notre habitude.
Est-ce que simplifier une langue est plus important qu’inclure la moitié de l’humanité dans cette langue ?
Et l’usage actuel n’est pas aussi clair qu’on le pense. Imaginons que je parle des résultats de plusieurs sportives, il semble évident que je ne parle que de femmes. Maintenant si je parle des résultats de plusieurs sportifs, est-ce que je parle de sportifs hommes ou est-ce que j’inclue dans ces résultats ceux de sportifs et de sportives ? En fait le problème, c’est qu’on ne peut jamais savoir si les femmes sont ou non concernées par les propos. L’enjeu est en fait la clarification de la langue et même un souci de précision.
En réalité, je ne parlerai pas de féminisation de la langue ou d’écriture inclusive mais plutôt de désexclusion linguistique. L’idée est en effet bien de changer de modèle langagier, de s’extirper d’un langage qui est sexiste, invisibilisant les femmes et normalisant l’idée de « masculin dominant » (prolongation dans la langue de la domination masculine qui s’exprime dans la société). On est donc loin d’une quelconque « aberration » ou d’un « péril mortel » comme le prétendait l’Académie française en 2017. Au contraire, il s’agit simplement de redonner leur place aux femmes dans la langue et dans l’espace public. Mais c’est sûr que pour certains c’est difficile à accepter…
L’enjeu est aussi par rapport aux personnes non binaires et qui de fait ne se reconnaissent pas dans un genre ou dans l’autre et pour qui la langue binaire actuelle ne peut convenir. Pour le coup, ça vaudrait vraiment le coup de se plonger plus en profondeur encore sur la création de termes neutres, d’un vrai neutre (comme en Allemagne par exemple). C’est ce qu’on voit apparaître dans le prolongement de cette écriture inclusive, avec les termes comme iel ou ol.
Voir aussi : La standpoint theory – c’est quoi le concept ?
Si le débat se focalise souvent sur le point médian, il n’est en fait qu’une des nombreuses recommandations qui existent, qu’une des nombreuses manières d’utiliser l’écriture dite inclusive.
Un Guide a été rédigé à cet égard par le Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes qui est une instance consultative française visant à réfléchir et favoriser l’égalité femmes-hommes. Une première édition est publiée en 2015, puis rééditée en version augmentée depuis, et c’est ça qui a créé un vrai débat. Alors quelles sont ces recommandations et comment les utiliser ? Je ne les énoncerai pas toutes ici, et je vous invite à aller lire directement le Guide en entier (ici), mais passons en revue plusieurs de ces points.
Ex. Les inégalités entre sportifs et sportives professionnelles persistent.
Ex. Plusieurs athlètes se sont engagé·es contre les violences. Iels ont pour cela participé à une campagne de sensibilisation.
Ex. Les « femmes dans le sport » plutôt que le « sport féminin »
Précisions aussi ici que l’enjeu de l’écriture inclusive concernant l’humain. Ca ne sert à rien de vouloir dire une ordinatrice ou une ordinateur ou un feuille si on parle d’outils, du matériels.
Alors déjà, l’erreur est humaine, donc on peut se tromper. Et oui, ça arrive. Mais les éventuelles erreurs et oublis d’applications de ces principes sont surtout une preuve de plus du poids de l’apprentissage social d’un langage. Si l’on n’a pas appris ces usages à l’école mais de manière autodidacte, longtemps après avoir eu une maîtrise de la langue française, c’est finalement un réapprentissage quotidien. Donc oui on risque de se tromper. Mais il y a une différence entre avoir la volonté d’usage et le fait se tromper et le refus total de toute désexclusion linguistique.
Alors oui, c’est un enjeu politique que cette idée d’écriture inclusive, un enjeu social. N’oublions jamais, comme bell hooks l’a si bien écrit que « le langage est un lieu de pouvoir ». Et oui, le langage est politique. Les choix de rédaction, loin d’être de simples artifices sont performatifs : ils font et fondent les textes et discours et sont les marqueurs d’une façon de voir et d’écrire le monde, l’espace, de ‘spatiographier’.
[1] ACADÉMIE FRANÇAISE, 2017 (26 oct.), Déclaration de l’Académie française sur l’écriture dite « inclusive » [En ligne], consultée le 10.02.2021.
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.