
L’auteur
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.- Tweets by @GregQuelain
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[Compte-rendu critique] L’article « Des espaces autres », retranscription d’une conférence prononcée par Michel Foucault en 1967 à Paris invite à s’intéresser au concept d’ « hétérotopie ». Développé par le philosophe postmoderne français, la notion s’inscrit dans l’ancrage déconstructiviste de Foucault.
A l’image des géographes, qui pensent et placent la dimension spatiale au cœur de leurs recherches (‘place matters’), Foucault évoque l’espace comme le paradigme central du XXème siècle (p.12). Expliquant que « l’espace se donne à nous sous la forme de relations d’emplacements », Foucault s’intéresse aux relations humaines sous l’angle d’un système spatial organisé en réseau (p.13).
Selon Foucault, peuvent être définies comme hétérotopies, et en opposition au concept d’utopie, « des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sorte d’utopies effectivement réalisées (…) des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux » (p.15). Il s’agit ainsi de lieux hors-système, lieux de contestation, lieux extraordinaires, régis par des règles spécifiques ou en d’autres termes d’ « espaces du dehors ». Bien que symbolisant l’altérité et formant une discontinuité par rapport au système spatial ordinaire, l’hétérotopie n’en reste pas moins liée aux autres espaces du système, en relations avec ces autres emplacements.
Six principes permettent d’identifier des hétérotopies, quelles que soient les formes que celles-ci puissent prendre. Une hétérotopie est ainsi un lieu universel, de facto présent dans l’ensemble des cultures, ayant « un fonctionnement précis », en rupture avec le temps réel et développant ses propres règles notamment une limite concernant ses accès – ouverts et fermés. A la différence de l’utopie, l’hétérotopie est bien réelle et possède une matérialité et une spatialité.
Penser les hétérotopies invite ainsi à penser une nouvelle catégorie de lieu, une catégorie qui elle-même peut avoir des sous-catégories. En évoquant une des formes que peut prendre les hétérotopies, il témoigne également de la possible évolution et conception des hétérotopies. Les « hétérotopies de crise », lieux réservés évoquant les privilèges ou le sacré sont désormais davantage à penser en termes d’ « hétérotopies de déviation », lieu de mise à l’écart des personnes hors des normes sociales. C’est par exemple le cas des hôpitaux psychiatriques, présents dans une ville et en même temps formant un lieu à part.
Foucault insiste sur la place des oppositions structurelles, sacralisées, pensées comme immuables auxquels les humains sont confrontés et qui sont imposées par les institutions. Critique vis-à-vis des oppositions binaires (espace public / espace privé ; espace de loisirs / espace du travail), il s’inscrit cependant lui aussi dans cette dualité en proposant en miroir aux espaces continus et ancrés dans la société, ces espaces hétérotopiques. Il introduit cependant une nuance au dualisme utopie / hétérotopie avec l’introduction d’une « sorte d’expérience mixte », cependant non définie en profondeur (p.15). Lieu culturellement extraordinaire avec ses propres règles, son espace-temps singulier, ses propres comportements et significations, l’hétérotopie peut ainsi être pensé comme un emplacement « ensemble-séparé » (Goffman) formant un « lieu-autre » s’inscrivant dans le système tout en illustrant ses discontinuités et l’altérité vis-à-vis du système.
A la différence du concept de « non-lieu » développée par Marc Augé, l’hétérotopie, si elle forme également un carrefour des relations humaines, constitue bien un espace singulier, non interchangeable, introduisant des comportements corporels spécifiques au sein d’un espace fait à la fois de normes et de libertés. Souhaitant développer un espace illusoire mais ancré dans le réel face à une expérience humaine spatiale cloisonnée (p.18), le concept d’hétérotopie se retrouve finalement confronté lui-même au principe de mise à l’écart de certains individus et donc à une nouvelle forme de cloisonnement socio-spatial.
Quelques exemples d’hétérotopies, de ces lieux sans lieux (p.18), formant des bulles fermées sur elles-mêmes : une colonie de vacances, une salle de sport, une prison, un cimetière, une prison, un bateau.
Mots-clés : hétérotopie – utopie – espace – altérité – lieu
Référence : FOUCAULT Michel, (2004) : « Des espaces autres », Empan, pp.12-19 [en ligne]. Consulté le 30 octobre 2019.
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.