
L’auteur
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.- Tweets by @GregQuelain
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La « matrice du sexe/genre » est un système d’ordonnancement qui (re)produit les modalités de pratiques et d’interactions socio-spatiales. Autrement dit, il s’agit de montrer en quoi le concept de genre constitue la principale règle d’organisation de notre société.
L’idée d’une division binaire « naturelle » selon 2 sexes différents s’est en effet ancrée comme LE modèle social de base. L’objectif est de nous convaincre « du caractère naturel du féminin et du masculin » (Zaidman, 2002 : 26).
La société a créé une réalité sociale dans laquelle les relations humaines dépendent d’une unique différence biologique. Autrement dit, les hommes domineraient “naturellement” parce qu’ils possèderaient un sexe biologique différent. La « valeur différentielle des sexes » c’est-à-dire l’idée qu’un garçon/homme, parce qu’il possède un sexe déterminé comme masculin, serait toujours dominant vis-à-vis d’une fille/femme – qui n’existerait quant à elle que par la négative (le non-masculin) – relève d’une « manipulation symbolique des faits biologiques » (Héritier, 1996). C’est donc la société qui créé la domination sociale de l’homme en établissant 2 classes sexuelles (masculin/féminin) strictement opposées selon un critère unique, le sexe biologique.
Cela se traduit par le recours à un langage binaire. Celui-ci associe à chaque sexe défini des comportements, aptitudes et qualités différenciées. La supériorité du masculin y est inscrite.
Dans son roman Fille, Camille Laurens (2020 : 29) exprime très bien cela en montrant que pour les filles/femmes « sexe et lien de parenté ne sont pas distincts ». Autrement dit, lorsque tu es une fille/femme, « tu n’as et tu n’auras jamais que ce mot pour dire ton être et ton ascendance, ta dépendance et ton identité » là où une différence linguistique et donc une reconnaissance différente existe entre garçon/homme et fils/mari.
La différenciation entre deux sexes trouve un écho particulier dans le domaine médical qui rend plus « réel » cette (prétendue) connaissance. Ainsi dès sa naissance toute personne est immédiatement – et a priori pour l’ensemble de sa vie (c’est en tout cas le sens recherché par une telle pratique) – assignée, « [située] dans l’une ou l’autre de deux classes sexuelles ». Cela passe par « l’application des critères biologiques socialement admis », des caractères sexuels jugés dominants (Goffman, 2002 : 44 ; West, Zimmerman, 2009 : 36)… pourtant des études « semblent prouver qu’il n’y a pas de frontière nette entre les deux sexes » comme en témoigne « l’absence de rupture significative » entre taux hormonaux masculins/féminins (Beauvalet-Boutouyrie, Berthiaud, 2016 : 48 ; Fausto-Sterling, 2000 : 112).
Ces rapports sociaux de sexe, légitimés par les institutions sociales, sont alors normalisés et « [incorporés] dans l’expérience individuelle au moyen des rôles » de genre (Berger, Luckmann, 2018 : 137). Candace West et Don Zimmerman (2009 : 36) parlent alors de « parades d’identifications (…) [proclamant] l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories »… autrement dit le genre a le pouvoir d’impacter concrètement les pratiques et imaginaires.
La différenciation est liée à l’intégration de trois valeurs :
Cela contribue à des mises en jeu spécifiques dans l’espace social. On observe également une organisation différentielle de l’espace public en fonction du sexe/genre au profit des garçons/hommes. L’existence de toilettes et de vestiaires sportifs ou bien pour « hommes » ou bien pour « femmes », qualitativement différentes est ici une traduction limpide du rôle de l’espace (et de son ordonnancement) dans la réaffirmation quotidienne de la catégorisation sexuée/genrée bien que rien ne puisse biologiquement justifier le besoin d’une telle ségrégation spatiale (ibid., p.91).
Réfuter la validité scientifique du concept de sexe/genre et démontrer sa construction sociale n’a pas permis d’éliminer les rapports de sexe/genre… « Faire le genre » est la condition sine qua non pour être pleinement reconnu en tant que membre de la société. La matrice du genre est donc « plus opérationnelle que jamais, et source de discriminations et d’injustices » (Borghi, 2012 : 121).
Le corps masculin, lui, semble intouchable. Il s’impose comme référence unique, comme le seul corps socialement légitime. La différence est normalisée avec l’idée que les hommes sont plus doués et forts que les femmes. Les performances sportives tendent pourtant à montrer que, malgré les différences anatomiques et l’influence du contexte socioculturel sur les résultats, les femmes peuvent être meilleures que les hommes (à l’instar de Florence Arthaud en voile, Jasmin Paris en marathon, Lynn Hill en escalade ou encore Zhang Shan en tir sportif).
Le « genre » est donc bien, à l’instar de la « race », une « puissante fiction » (Lugones, 2019 : 73) et insister sur cette importance du genre, cette différence particulière comme modalité et définition de l’organisation de toute pratique, relève bien d’un choix politique et d’un discours social plus que d’une quelconque réalité scientifique.
Plus largement cela entretient et entérine l’idée d’association entre féminin et passivité d’une part et d’autre part entre maîtrise technique et spatiale et hommes virils. De cela découle des comportements violents visant à mettre en pratique le genre et à reproduire le schéma : homme-actif-dominant / femme-passive-dominée.
Cette consécration du modèle masculin hégémonique unique et ses idéaux de virilité, hétérosexualité, force, domination, contribue de manière directe à la survenue de violences sexuelles dans l’espace social, au sens « où le corps masculin impose sa souveraineté » et où est « [autorisée] cette mise à l’épreuve du féminin » (Saouter, 2016 : 21). Dès lors, « l’ordre de genre dans une société (…) peut jouer un rôle essentiel dans la prévention du harcèlement sexuel » (Fasting al, 2010 : 86).
Voir aussi : La décolonialité – C’est quoi le concept ?
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.