
L’auteur
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.- Tweets by @GregQuelain
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Et si le confinement – lié à la crise du covid-19 – offrait une occasion au monde de considérer (enfin) la géographie à une plus juste valeur ?
La mesure forte de la lutte contre la diffusion du corononavirus ? L’annonce d’une “distanciation sociale” stricte. Cette annonce montre bien le primat du social sur le spatial dans les discours du quotidien. Le confinement est en effet d’abord un processus d’isolement, d’enferment, et en d’autres termes une interdiction spatiale.
L’utilisation de ressources, à commencer par les réseaux sociaux et plateformes de visioconférences en ligne montre bien cette perpétuation du lien social. Certes, sous d’autres formes, selon d’autres spatialités, mais ces socialisations perdurent. Une adaptation forcée du social en raison de données spatiales modifiées, en raison d’une distanciation spatiale. Cette distanciation est finalement socio-spatiale. La séparation corporelle en est la parfaite illustration : les corps sociaux ne peuvent plus se toucher du fait de leur séparation or la perte de contact peut s’apparenter à une perte sociale.
C’est donc d’abord une entrée par la géographie que l’analyse de cette situation extra-ordinaire peut se faire. Et la géographie, de part son large spectre d’expertise, permet d’ailleurs une analyse pluridimensionnelle. En guise d’exemple voici quelques usages, quelques phénomènes possibles pouvant être appréhendées à partir de la géographie.
La géographie est ainsi un facteur explicatif des inégalités. En effet, la mise en distance révèle largement les inégalités d’accès aux ressources (matérielles comme immatérielles, et en premiers lieux les biens de première nécessité). Ces différences de moyens entre les individus sont aussi mises en évidence par les déplacements pré-confinement. Ainsi, certain·es ont pu avoir le choix de quitter (ou non) Paris pour se confiner dans un espace autre quand d’autres n’avaient qu’un seul et unique espace disponible.
L’espace disponible influence grandement les conditions de confinement : possibilité d’avoir un espace “à soi” ou non, possibilité de “sortir” ou non (jardin, balcon, etc.), pièces séparées et espacées ou non, etc. Il est ainsi difficile de comparer les situations personnelles de part des conditions particulièrement différenciées et influençant ainsi les possibilités de continuités professionnelles, qu’elle soient scolaires ou qu’elles concernent le télé-travail par exemple.
La situation extra-ordinaire invite donc à repenser les relations sociales et échanges selon de nouvelles modalités spatiales. Il y a donc une réelle géographie de l’internet et des réseaux sociaux à développer. Ces supports représentent à la fois les liens, les réseaux entre individus et les supports en tant qu’espace en eux-mêmes. Les questions géographiques relatives à Internet sont nombreuses : fracture (?) et inégalités numériques, espace d’éventuelles identités masquées ou transformées, espaces fonctionnels (l’aspect éducatif étant particulièrement mis en avant) et (ré)utilisations de ces “nouveaux espaces”.
Les processus de diffusion du virus est également analysable selon la géographie. En effet c’est d’abord en raison de la multiplicité et de la facilité des échanges, des déplacements tant matériels qu’humains à l’échelle internationale que l’évolution d’un virus local en pandémie peut être expliquée. L’analyse géographique des transports est ici primordiale.
Fermeture ou non des frontières ? Mutualisation des ressources ? Aides transnationales voire internationales ? Échelles de pouvoir et gouvernance ? Toutes ces questions, qui sont légitimes, se posent d’abord et avant tout en termes géographiques.
De la dimension corporelle à l’échelle internationale, le Covid-19 ne peut être analyser et compris de manière pertinente qu’en prenant en compte les processus et acteurs à différentes échelles. En effet, chaque dimension spatiale importe et apporte des éléments clés de lecture.
Les corps des individus sont les premiers à être impactés. Impactés physiquement et mentalement, impactés en termes de santé et de risques évidemment, mais également d’un point de vue social. Les contacts avec les proches ne sont plus directs mais uniquement possible avec une mise à distance, voire par écran interposé.
Les enjeux liés aux processus de gouvernance sont également multiscalaires, et ce, depuis le début de la crise. D’un point de vue médical, les dynamiques de pouvoir et d’influences se matérialisent par exemple par le Pr. Raoult qui à partir de son ancrage local à Marseille et en région PACA cherche à influer sur l’échelon national. D’un point de vue de la gestion politique, là encore, plusieurs échelons peuvent se superposer.
Aux décisions de l’Union Européenne (fermeture des frontières) s’ajoutent des décisions nationales (confinement strict jusqu’au 11 mai minimum en France) voire parfois des compléments plus locaux comme l’interdiction de la pratique sportive entre 10h et 18h à Paris.
Le crise liée au coronavirus (ou Covid-19) offre donc une fenêtre au monde pour davantage avoir recours à la géographie dans l’analyse des phénomènes sociaux.
Grégoire QUELAIN
Géographe féministe, spécialisé sur les questions de violences, de sexualités et de sport.