Convention d’Istanbul : La France doit redéfinir le consentement !

Établie il y a près de 10 ans, la Convention d’Istanbul ou Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique est un texte méconnu mais pourtant essentiel et juridiquement contraignement pour lutter contre ces violences sexuelles. Les politiques françaises sont ainsi régulièrement évaluées à la lecture de cette convention. Le dernier rapport du Grevio exhorte ainsi la France à redéfinir le consentement. Explications.

La création de la Convention d’Istanbul (2011)

Les états membres du Conseil de l’Europe ont établi la Convention d’Istanbul en avril 2011. Elle s’inscrit dans la lignée des travaux de l’Union Européenne pour protéger les populations des violences interpersonnelles et à fortiori des risques de violences sexuelles.

Signée par la France le 11 mai 2011, elle est finalement ratifiée le 4 juillet 2014 et entre en vigueur le 01 novembre de cette même année. Cela fait donc bientôt 10 ans que le texte est en vigueur et scruté de près par le Grevio, un groupe européen chargé d’évaluer les actions mises en place par les pays signataires pour respecter leur engagement.

La Convention d’Istanbul, outil de protection

En tant que signataire de cette Convention, la France reconnait officiellement que la violence à l’égard des femmes est structurellement fondée sur le genre et qu’elle constitue un des mécanismes responsables du maintien des femmes dans une positionne subordonnée aux hommes (Préambule). Autrement dit, les autorités françaises admettent que la violence à l’égard des femmes est sociale, historique et structurelle, qu’elle empêche l’émancipation des femmes et favorise la domination des hommes en tant que classe de genre.

Il faut ici comprendre le genre comme un ensemble de comportements, activités et attributions socialement construits (Art. 3).

La Convention compte au total 81 articles visant à réduire drastiquement ces inégalités et violences de genre.

Protéger les victimes

Parmi ces obligations, on y trouve des mesures relatives à la protection des victimes post-violences comme :

• Fournir des soutiens spécialisés immédiat, à court et long terme aux victimes (Art. 22) ;
• Faciliter leur accès à des services sociaux et de santé gérés par de professionnels formés (Art. 20) ;
• Garantir la mise en place de refuges et de centre d’aide d’urgence décents, accessibles et suffisamment nombreux (Art. 23-24) ;
• Permettre un soutien sensible et avisé aux victimes dans la présentation de leurs plaintes (Art. 21) ;
• Prendre les mesures législatives pour protéger les victimes de tout nouvel acte de violence (18) ;
• S’assurer de définir le consentement comme libre et volontaire (Art. 36).

Impacter les modes de vie

La Convention d’Istanbul présente également tout un champ de mesures visant à agir sur la culture et les comportements socioculturels, notamment en soutenant la recherche dans les domaines relatifs aux formes de violences couvertes par la Convention (Art.11) et en en faisant en sorte que la culture ne soit pas considéré comme justification des actes de violence (Art. 12).

Numérique et violences sexistes et sexuelles : le sexisme en liberté (Fondation des Femmes)

La Convention d’Istanbul n’est pas une simple convention d’objectifs mais bien un texte juridiquement contraignant. Ainsi, les États signataires ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour garantir une action réelle et efficace dans les champs d’actions définis par cette convention. Autrement dit, chaque partie engagée dans cette Convention à l’obligation de respecter l’ensemble des 81 points mentionnés.

Le Grevio, outil de surveillance de l’application du texte

Pour veiller au respect de cette convention, le Grevio a donc été mis en place. Cet organisme de contrôle constitue en ce sens un élément fondamental pour vérifier les actions développées dans chaque pays pour se mettre en conformité avec le texte. En 2019, date du dernier rapport d’évaluation de la situation française, le Grevio a salué le travail des autorités tout en soulignant un certain nombre de problèmes persistants.

Si le rapport évoque ainsi une « volonté affichée » de la part des autorités – on retrouve ici l’idée de « grande cause du quinquennat » – le GREVIO estime que, derrière cet effet de communication, les politiques peinent encore « à reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes ».

En cela l’organe de contrôle « pointe l’insuffisance des dispositifs d’hébergement spécialisés destinés aux femmes victimes de violences », le manque de centres d’aide d’urgence et de structures de soutien spécialisés (lieux d’écoute, d’accueil et d’orientation – LEAO) et accueils de jours), mais aussi le manque d’application des dispositifs législatifs existants et « les faiblesses du dispositif d’ordonnance de protection ».

Les recommandations du GREVIO

Le GREVIO a défini 3 niveaux d’alertes, niveaux d’exigence. Ceux-ci dépendent du caractère urgent des actions à mener : encourager, encourager vivement et exhorter les autorités françaises à agir.

Formation et recherche

La France est ainsi invitée à collecter davantage de données relatives aux enfants victimes de violences intimes. Elle est par ailleurs vivement encouragée à renforcer les formations spécialisées des professionnels amenés à être au contact des victimes. Les autorités sont également vivement invitées à dispenser à l’ensemble des professionnels de santé une formation continue systématique et obligatoire sur ces violences.

Hébergement d’urgence

Plus encore, le Grevio insiste et exhorte la France à garantir le droit inconditionnel des victimes et de leurs enfants à l’hébergement d’urgence (dans des structures dédiées, en nombre suffisant, équitablement accessibles à toutes les victimes, et pouvoir répondre aux besoins spécifiques des victimes, à court, moyen et long terme, incluant des soins médicaux et un soutien psychologique et légal, sans dépendance à la volonté ou non des victimes de porter plainte.

Cadre juridique

Le GREVIO est par ailleurs particulièrement inquiet du traitement judiciaire des violences sexuelles. Il s’appuie notamment sur le faible taux de dépôt plainte. Par ailleurs, il tient compte du nombre réduit de condamnations, en baisse de 40% depuis 2007. Sur ce point, on peut notamment penser aux nombreux cas dénoncés au cours des derniers mois sur le hashtag #DoublePeine.

Le GREVIO insiste notamment sur les lacunes importantes du cadre juridique actuel, en particulier sur la pratique de la correctionnalisation, c’est-à-dire la requalification d’un crime de viol en délit d’agression sexuelle, minimisant de fait la gravité et les conséquences du viol. Par ailleurs l’instance de contrôle revient sur la définition des agressions sexuelles et du viol en France, celle-ci ne reposant pas sur l’absence d’un consentement libre mais exigeant le recours à la violence, contrainte, menace ou surprise.

En effet, la définition juridique des infractions sexuelles n’est, en France, toujours pas fondée de manière explicite sur l’atteinte au consentement libre et non équivoque de la victime ; mais mettant l’accent sur les éléments probatoires permettant de constater l’absence de consentement. Le Grevio explique ainsi que cela entraine une forte insécurité juridique générée par les interprétations fluctuantes des éléments constitutifs que sont la violence, la contrainte, la menace et la surprise et sur l’incapacité desdits éléments probatoires à englober la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment lorsque celles-ci sont en état de sidération.

Redéfinir le consentement : une nécessité !

En cela la France est exhortée à réexaminer sa législation et ses pratiques judiciaires pour « assurer une réponse judiciaire efficace aux violences sexuelles, qui soit centrée sur le respect des droits humains des victimes, et sur une prise en charge et un accompagnement approprié des victimes. »

La France est ainsi épinglée par le Grevio pour son insuffisante mobilisation et l’inefficacité de son cadre législatif. Pour cela les autorités françaises doivent notamment se mettre en conformité avec l’article 36.1 de la Convention d’Istanbul et ainsi « fonder la définition des violences sexuelles sur l’absence de libre consentement de la victime », sans éléments probatoire complémentaire.

Un nouveau quinquennat vient de s’ouvrir. Espérons que les articles de cette Convention soient enfin respectés et que les mesures portées par le Grevio soient enfin réalisées. Il en va de la protection des droits des victimes, de la protection de chaque être humain.  Il est temps d’être à la hauteur de la lutte contre ces violences. Alors face aux violences sexuelles, après avoir écouté, après avoir compris, maintenant on agit.