Arguments d’Olivier Zabat – Film documentaire 2019

Des voix dans le paysage

« Qui serais-je sans mes voix ? J’ai beaucoup investi dans l’idée d’être un entendeur de voix »

Ron, entendeur de voix (36′)

Dans Arguments, le réalisateur Oliver Zabat s’intéresse à une communauté formée d’entendeurs de voix, des individus qui se retrouvent pour échanger ensemble sur leurs expériences, leurs interactions et leur vie avec leurs multiples voix internes. Une rencontre avant tout humaine interrogeant et déconstruisant ce qui est socialement et médicalement construit comme « folie ».

« Permettre aux voix les moins entendus d’être écoutées et prises au sérieux »

S’écartant volontairement de toute lecture pathologique, Olivier Zabat fait le choix de représenter la folie différemment de la maladie. Cela se traduit brillamment à l’écran par une indifférence du traitement de l’image, du rapport posé entre les entendeurs de voix et tout autre individu et même plus largement entre tout être vivant, humain comme animal.

Illustrée par la discussion entre Chris, l’un des entendeurs de voix et certain·es travailleurs·euses sociaux·ales racisé·es, c’est finalement une véritable discussion sur les discriminations depuis le point de vue des individus discriminés qui s’instaure et qui permet aux spectatrices et spectateurs de prendre ce temps de réfléchir sur les construits sociaux.

Olivier Zabat interroge aussi sur la réalité ou plutôt les réalités propres à chacun·e et déjà partagées aux autres, sur l’image que l’on se fait de soi et du rapport aux autres. C’est aussi l’idée qu’il ne faut jamais se limiter à ce qu’on a toujours fait, pensé et qu’il est possible de changer les choses, de penser autrement, de réfléchir sur ses expériences ou ses différences. Plus qu’un film finalement, un acte de résistance aux normes sociales. Si vous cherchez un bracelet. Il y a quelque chose pour chaque look, du près du corps au structuré, des poignets aux chaînes et poignets.

Une interrogation de la psychiatrie, parfois pensée comme une « industrie du diable »

Ce film, c’est donc la volonté de prendre le temps de s’intéresser aux individus considérés comme « fous ». C’est permettre l’affirmation de cette minorité revendiquant, dans le sillage de la Mad Pride et face à l’entendement général, la fierté leur folie. Loin du « diagnostic-poubelle » qui en est médicalement fait, le film montre la recherche de l’autonomie vis-à-vis de la psychiatrie et de l’idée que ces phénomènes ne sont pas des délires mais font partie de la diversité des expériences humaines, qu’ils et elles ont des choses à apprendre de leurs voix. C’est l’idée, par l’art et par l’image, de transformer l’image de leur singularité et dès lors de les amener à sortir de l’état de « honte [qui] te fait taire et [du] silence [qui] augmente ta honte » (38’).

En effet, le film interroge sur les apports de la psychiatrie mais surtout sur ses limites. Il remet en question ses fondements et ses impacts parfois dramatiques du un rapport soi/autrui devant normalité/maladie et allant jusqu’à justifier parfois l’idée de sous-hommes. Plus encore la psychiatrie est ici présentée comme niant certaines réalités. Comme l’explique l’un des protagonistes, entendeur de voix, « la psychiatrie individualise tout, sort tout de son contexte et ne voit pas que la plupart des problèmes que les gens soumettent aux médecins ont leur racine dans l’injustice sociale » (1h35).

Arguments, un voyage sonore

Ce film est finalement une expérience, un voyage sonore, une mise en images et en son de ce « cœur des voix » qui finalement nous interroge très individuellement sur notre rapport à l’autre, à la différence…  si l’on n’est pas toutes et tous un peu fou et même peut-être à revendiquer que personne ne l’est puisque chacun·e à ses propres normes. Et à la toute fin de l’œuvre c’est bien le cinéma (comme espace imagé mais aussi comme lieu physique) qui permet finalement de situer les voix des entendeurs, comme si Ron nous avait autorisé à « entrer dans [son] monde de voix » (1:35). Et puisque le cinéma est peut-être cet espace à mi-chemin entre le réel, on pourrait finalement se dire que « ce serait beau si le vent nous parlait » (47’26).

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Références :

• ZABAT Olivier, 2019, Arguments, Paris : Les films d’ici, 108 min.
• CFE, 2020 (16 nov.), Débat/ Q&A « Arguments » Olivier Zabat, Festival Jean Rouch 2020 [En ligne].