Grève ou Crève de Jonathan Rescigno – Film documentaire 2020

1^er long-métrage réalisé par Jonathan Rescigno, Grève ou Crève revient sur le combat social mené et remporté en 1995 par les mineurs de sa ville natale, Forbach. Celui qui s’est imposé comme « le gars à la caméra » de Forbach a décidé de la mettre à l’image à la suite d’une rencontre avec George, un mineur qui a vécu et surtout filmé cette lutte de l’intérieur. « Une expérience humaine avant tout » selon le réalisateur qui a décidé de raconter l’histoire de ses amis, de celles et ceux avec qui il vit… Et c’est bien cette intimité singulière avec les protagonistes qui fait la force de ce film.

Grève ou Crève, en mémoire du combat des mineurs

Rescigno, qui n’hésite pas au service de son histoire à voyager en toute liberté entre les formes cinématographiques, nous plonge ici dans une atmosphère singulière, une ville intergénérationnelle qui semble toujours prête au combat, mais aussi dans un moment précis de souvenir, celui du mouvement des mineurs.

Le film s’ouvre autour ce mouvement social : une absence de dialogues… un dialogue impossible et finalement des affrontements. George racontera plus tard que 5000 grenades sont tombées sur Forbach en 2 jours en 1995. Le réalisateur nous y plonge tout au long du film à travers une métaphore, le feu d’artifice, mais plus encore à travers un univers irrespirable, de par l’omniprésence de la fumée et le souffle coupé des boxeurs·euses, de par un jeu de lumières entre espaces sombres puis très clairs, tel des flashs d’explosion de grenades mais aussi en usant de bruits parfois dérangeants, quasi assourdissants. En fait, on est comme bombardé·e de gaz.

« Tu m’as envoyé de la fumée dans l’œil »

Mohamed à Qassim (75′)

Cette mise en l’image c’est le souvenir personnel qu’en a Jonathan Crescigno ; la volonté de montrer ces traces de fumées comme il les a observées à l’époque à travers sa fenêtre. Plus que des paroles, ce film constitue un acte mémoriel… comme un « merci à la mine » sans qui les nouvelles générations, descendant d’immigrés (lui-même est petit-fils de mineur immigré), ne seraient pas là, pour reprendre les mots d’un des jeunes protagonistes.

De Forbach 1995 à Forbach 2020, une ville prête au combat

Cet échange entre les générations est d’ailleurs au centre de la vie forbachoise, animée par le rythme effréné de la jeunesse combattante et la sagesse de l’âge, la lenteur des anciens combattants. Le travail du son, particulièrement soigné par Cresigno illustre ces échanges entre générations. Ainsi, il est possible d’entendre un extrait d’apparence simple mais finalement très signifiant de ce mélange artistique et générationnel à travers un extrait du morceau de rap le charme de la tristesse : « Kamelancien c’est du lourd comme Aznavour ».  Celui-ci passe également par l’interrogation d’un double rapport : autorité et solidarité. Autorité du travail, nécessité d’être prêt·e au combat, de se souvenir… Et solidarité, autour d’une même ville et de cette communauté humaine, solidarité pour la défense de leurs droits et de leur dignité… Un film de combattant marqué par le fait d’apprendre à vivre avec la douleur et de donner des coups avant d’en prendre.

Un film (de) combattant

Avec la boxe comme trait-d’union, tout est donc pensé pour nous replonger au cœur du combat passé…. Mais pour nous y plonger également de manière très contemporaine : le perpétuel combat social, le combat personnel mais déjà collectif, le combat sportif… In fine, un combat qui lie les générations entre elles. Le réalisateur pose sans aucun détour et loin des clichés répandus, la question de l’émancipation de la jeunesse, prête à grandir hors de sa ville tout en y trouvant ses appuis, une jeunesse qui ne veut dépendre de personne, défend son autonomie et bien consciente des combats à mener comme la lutte contre le racisme. Pour conclure, ce film, quand bien même il constitue la trace d’un combat passé, est résolument tourné vers l’avenir… un avenir de combat. Et au final une sortie de la fumée, pour s’offrir une nouvelle respiration.

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Références :

• RESCIGNO Jonathan, Grève ou Crève, Supermouche Productions, 2020, 93 min.
• CFE, 2020 (17 nov.), Débat/ Q&A « Grève ou crève » Jonathan Rescigno, Festival Jean Rouch 2020 [En ligne].
• Illustrations : Captures d’écran de Grève ou Crève. © Jonathan Crescigno. Utilisées avec l’aimable autorisation de l’auteur.