L’ordre du discours selon Michel Foucault (1971) : un compte-rendu

L’ordre du discours est un ouvrage issu de la leçon inaugurale énoncée par Michel Foucault au Collège de France le 02 décembre 1970 et au cours de laquelle il revient sur l’importance des discours : de leur énonciation, de leur contenu et de leur appréhension. Le discours est d’abord et avant tout une réalité matérielle, une « activité quotidienne et grise », si habituelle que ses pouvoirs et dangers sont difficilement perceptibles et rarement questionnés (p.10).

Un discours toujours situé

Foucault défend dès les premières pages la thèse selon laquelle « que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures » (p.10). Le discours n’est nullement neutre, il est signifiant, maîtrisé, produit selon une vision, un système de pensées. Il est cependant naturalisé, défait de sa matérialité pour mieux l’objectiver et le légitimer. Le discours doit toujours être situé ; il est contrôlé et ainsi permis ou autorisé. Produire, dire, écouter, valider, infirmer ou encore contester un discours sont ainsi des actes performatifs.

La prise de parole est un discours en tant que tel et l’énonciation un pouvoir. Celui qui prononce un discours est acteur, il bénéficie d’un droit, d’un privilège, d’une exclusivité, la possibilité de s’exprimer et diffuser ses idées. Et pour que son discours, soit dit et considéré comme vérité, il doit être appuyé scientifiquement ou tout du moins faire acte de légitimation. Ainsi un chercheur devra faire appel à un large ensemble théorique pour ‘valider’ une certaine ‘objectivité’ de ses recherches. Cette modalité permet de l’inscrire dans le domaine scientifique mais aussi de fixer le discours, d’en contrôler sa production en réactualisant de manière permanente des normes et manières de penser (pp.37-38).

Discours et institution

L’institution dicte la loi et le discours dépend de la loi, dès lors l’institution choisit « le » discours.

L’institution joue de fait un rôle majeur dans la (re)production du discours, dans le sens accordé qui leur est accordé. L’institution dicte la loi et le discours dépend de la loi, dès lors l’institution choisit « le » discours. Et si chacun peut avoir son propre discours, l’un des discours dispensés s’affirme comme norme, comme dans l’ordre des choses, dans l’ordre des lois, en d’autres termes comme « le » discours de l’entendement (p.9). Chacun peut penser un discours mais tout le monde n’a pas le droit de discours.

Ainsi, sur des sujets considérés par les institutions comme majeure, la parole restera entre certains individus privilégiés – des sujets parlants –, qui s’inscrivent dans l’ordre du discours, quand l’accès au discours sera au contraire interdit à d’autres (p.38). En effet, comme le dit Foucault, « Toutes les régions du discours ne sont pas également ouvertes et pénétrables ; certaines sont hautement défendues (différenciées et différenciantes) » (p.39). Le discours forme finalement un système plus global, une société du discours limitante dont l’objectif est la distribution spécifique des discours et ainsi la conservation d’un entre-soi discursif. Le discours permet de faire communauté. Un discours partagé réunit en effet des individus et permet de (se) différencier. Le contenu du discours est parlant, autant d’ailleurs que les absences de contenus. Ainsi les discours sur des tabous en France comme le corps ou la sexualité sont bien plus rares qu’un discours sur la météo.

Le discours est performatif

Le discours constitue une forme de puissance en tant que réalité (im)matérielle, il est parlé autant que parlant. Il est empreint de subjectivité, forme de pouvoir et de désir (p.12). Le discours est donc bien performatif au sens entendu par Judith Butler. Il nait au moment même où il commence à être prononcé. Le discours est un acte, une partie de l’ordonnancement du monde. Il « n’est pas simplement ce qui est traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer » (p.12).

Le discours est ainsi autant un outil de contrôle, un outil d’entendement qu’un outil de rupture, de contestation et de lutte. Le discours est donc porteur de sens, porteur de « vérité ». Les paroles sont ainsi dans la norme ou hors-norme, elles peuvent être considérées ou déconsidérées, rendues raisonnables, crédibles ou au contraire jugées folles. Ainsi l’analyse du discours est également un élément du pouvoir, une forme de savoir. Comprendre, analyser, déchiffrer le discours et le contexte de réalisation du discours peut influencer le discours en influençant sa réception (p.14).

Voir aussi : Michel Foucault et le concept d’hétérotopie

L’ordre du discours

Le discours est un acte socialisé, il est partagé, il est une modalité permettant la connaissance de l’altérité, un instrument permettant d’avoir une relation avec l’autre. Il n’est pas ouvert, il est contrôlé, il fait partie d’un système et dans le même temps participe à créer le système. En d’autres termes, le discours fait système. Il apparaît dès lors logique que les régimes politiques notamment totalitaires soient basées sur la censure : ne plus avoir droit à la parole, au discours limite ainsi l’opposition, le contre-discours. Foucault montre d’ailleurs l’existence de « procédures d’exclusion » (p.11) à commencer par l’interdit (p.11).

L’idée derrière ces processus est la compréhension d’un phénomène global : un discours s’inscrit toujours dans un contexte précis. En effet, « on sait bien qu’on n’a pas le droit de tout dire, qu’on ne peut pas parler de tout dans n’importe quelle circonstance, que n’importe qui enfin, ne peut pas parler de n’importe quoi » (p.11). Ces procédures d’exclusion sont externes, « procédures de contrôle et de délimitation du discours », interdisant la parole et cherchant une vérité particulière mais également internes, les discours étant en eux-mêmes normées, ils s’inscrivent dans un système « de classification et d’ordonnancement » et participe ainsi à une structuration des discours, à un contrôle, à une frontière entre discours légitime et illégitime (p.23).

Quelques mots de conclusion

Pour conclure, « les discours doivent être traités comme des pratiques discontinues, qui se croisent, se jouxtent parfois, mais aussi bien s’ignorent ou s’excluent » (pp.54-55). Le discours est un partage du savoir, il est institué (le « discours vrai »), s’y soumettre s’il fait loi ou au contraire dénoncé voire censuré. Le discours est aussi une forme de violence. Il est partagé, modifiable et « en perpétuel déplacement » (p.16). Le discours s’appuie ainsi sur les institutions pour renforcer et reconduire un discours de vérité limité et limitant par le biais d’un ensemble structuré de pratiques. « La manière dont le savoir est mis en œuvre dans une société » est ainsi déterminant (p.19). L’institution pose le discours. Et la légitimité de l’institution lui offre ainsi un « pouvoir de contrainte », la possibilité d’exercer une pression pour diffuser un discours normatif (p.20).

Le discours de vérité se pose comme universel et naturalisé en cachant ses exclusions. Ce discours de Foucault, dont le positionnement réflexif n’est pas abordé par l’auteur, est en lui-même extrêmement signifiant, s’adressant au Collège de France, avec un vocabulaire spécifique excluant une diffusion large du savoir ; les individus n’ayant pas les clés de compréhension restant à la marge du savoir. Le discours est donc bien une réelle arme politique, discours qualifiant et fixant des sujets parlants légitimes ou au contraire excluant, discours approprié et (non-)partagé. Finalement le discours est un apprentissage permanent et « tout système d’éducation est une manière politique de maintenir ou de modifier l’appropriation des discours, avec les savoirs et les pouvoirs qu’ils emportent avec eux » (p.46).

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Bibliographie : FOUCAULT Michel, 2010 [1971] : L’ordre du discours, Mayenne : Gallimard, 82p.