Des Jeux (pas) comme les autres

Le sport est un espace signifiant, marquant la différenciation sur les corps. Par l’apprentissage et l’incorporation progressive des normes, il se révèle être un véritable outil de pouvoir.

Le sport, un spectacle qui n’a rien d’ordinaire

Le sport est un spectacle qui met en scène des corps (humains). Il est devenu lieu commun, il est partout et il toujours là[1] (Redecker, 2002 : 75). Chacun·e peut y prendre part. Le sport qui se décrit comme un espace de pleine liberté se révèle pourtant être un espace de contrôle permanent. Derrière son apparente ouverture, il se révèle intransigeant : chaque pratique est normée, réglée ; chaque acteur, chaque actrice y a un rôle – conscient ou inconscient – attribué et (auto-)reproductif.

Derrière son apparente ouverture, le sport se révèle intransigeant : chaque pratique est normée, réglée.

Ainsi à l’entrainement, sous prétexte de jouer, on se (con)forme. On y apprend des règles puis on agit, on fait l’expérience d’une domination consentie : souffrir pour progresser, ne plus choisir pour espérer gagner. C’est le corps de l’athlète mais l’entraineur qui le dispose, c’est l’athlète à bout de force mais l’entraineur qui dicte la pause. C’est la performance qui dicte la loi et qui s’impose. Et aucune place pour la remise en cause.

Le sportif n’est pas là pour penser mais pour panser. Ou bien il rentre dans le moule, ou bien sa place est fictionnelle. De son corps façonné il déchaîne les foules, vainqueur à bras le corps, il s’expose comme modèle. Un modèle mondialisé, un modèle rendu unique et partagé. Tout le monde peut-il réussir dans le sport quand on sait que rêver d’or et partir en quête du record peut signifier la perte de son corps ?

Aucune marge n’est laissée à l’altérité

Si les techniques changent et les règles évoluent, la distinction persiste. Le vestiaire est genré, il est binaire, empreint de masculinité ou de féminité. Bien plus qu’une simple signification physique, il devient une frontière mentale… Et par cette incorporation, il permet un entendement global : pour être égaux et égales, les athlètes doivent être les un·es comme les autres. Aucune marge n’est laissée à l’altérité. Un paradoxe dans un espace où l’objectif ultime est de surpasser l’Autre et de se distinguer. C’est donc cet entendement qui est lui-même hiérarchisé. L’homme y est tout puissant, la femme réduite à néant, le non-binaire inexistant. Ainsi, lors de leurs performances, la figure du sportif hors-normes y est magnifiée – homme musclé, puissant, fort et violent –[2] quand la sportive hors-norme est invalidée – femme malade, tricheuse et à contre-courant –[3].

Une (re)production de la domination

Tous les quatre ans, quand les Jeux s’ouvrent, le spectateur n’y voit qu’une image sublimée. A l’ouverture de la pièce, chaque athlète doit jouer son rôle. Le spectateur attend l’extraordinaire dans l’ordinaire, il s’émerveille devant tant de productions qui se révèlent n’être que des reproductions. Y sont (d)écrites de nouvelles fictions qui servent d’affirmation à la domination.  L’homme y sera d’ailleurs lutteur et la femme nageuse artistique[4]. Et si jamais la femme est une boxeuse elle devra d’être une bonne joueuse, pour apparaître comme féminine dès sa sortie du ring. Car si elle peut ‘casser des gueules’ sur le ring, elle ne doit pas pour autant casser les codes du système sportif.

Le sport est une pédagogie qui exclue ou unie, par un système de mise en catégorie

Véritable mode de vie, le sport diffuse aujourd’hui une idéologie marquée de grosso- et d’homophobie. Le sport est une pédagogie qui exclue ou unie, par un système de mise en catégories. Derrière son apparente unicité d’un sport-spectacle universel, les maux d’un sport hiérarchisé révèlent sa différenciation sexuelle.

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Notes

[1] « L’utopie sportive (…) omnipotie et omnichronie ». D’après REDECKER Robert, 2002 : Le sport contre les peuples, Paris : Berg International, p.75.

[2] Voir par exemple la figure de Michaël Phelps, nageur américain le plus titré des Jeux Olympiques et homme cisgenre blanc, dont le corps et caractéristiques physio-biologiques n’ont jamais remis en cause ses victoires, la prétendue incertitude du résultat ou l’équité sportive.

[3] Voir au contraire, la figure décriée de Caster Semenya, athlète sudafricaine et femme cisgenre noire, coureuse de 800m, corporellement différente par rapport au modèle dominant est exclue des compétitions et forcée de prendre des médicaments, accusée d’être une tricheuse comme si son corps était une forme de dopage.

[4] La lutte libre et la natation artistique faisant partie d’exceptions olympiques : ces sports restent pour le moment unisexes aux J.O., la lutte gréco-romaine réservée aux hommes et la natation artistique aux femmes.