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Compte-rendu de l’ouvrage « Histoire du football féminin au XXe siècle » écrit par Laurence Prudhomme-Poncet et publié chez L’Harmattan en 2003.
Pourquoi et comment le football a-t-il été approprié, ou non, par les femmes au cours du XXe siècle ? Voilà la question que pose Laurence Prudhomme-Poncet de manière directe et concrète. Dans cet ouvrage, issue d’un long travail de recherches, la docteure en STAPS retrace l’histoire du développement de la pratique du football par les femmes. Parcours semé l’embuche et illustrant parfaitement les dynamiques de pouvoir dans le monde du sport et plus largement dans la société française, l’ouvrage dresse un panorama précis des deux temps forts qui marquent l’essor du « football féminin » : l’entre-deux-guerres et les années 1970.
Laurence PRUDHOMME-PONCET est docteure en STAPS, sciences et techniques des activités physiques et sportives et professeure d’EPS.
Le livre, tiré d’une thèse de doctorat, « s’attache à comprendre la marginalité et le développement chaotique du football féminin au regard de l’évolution du football au XXe siècle et de l’évolution du statut des femmes. » (4e de couverture)
Femmes, football, histoire, inégalités, sport.
(1) Premier essor du football féminin (1917-1937)
La première partie de l’ouvrage est consacré au « premier essor du football féminin (1917-1937) ». L’autrice y évoque les différentes « premières », la première utilisation du terme « footballeuse » en juillet 1912, le premier match en 1917, le premier club avec Femina Sport…
« Pour la première fois des jeunes filles ont joué au football association » (L’Auto, 2 octobre 1917)
Ce premier temps fort s’explique par un ensemble de conditions favorables ou, autrement dit, par un contexte favorisant l’émergence possible de la pratique du football par de jeunes femmes. Laurence Prudhomme-Poncet insiste également sur plusieurs marqueurs de la période : d’une part le rôle joué par la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France (FSFSF) dans la promotion du sport et du football sur tout le territoire (à travers notamment la tenue de manifestations publiques) et d’autres part sur les caractéristiques des footballeuses elles-mêmes. Elle écrit ainsi que « les toutes premières footballeuses sont avant tout des femmes actives. Mesdemoiselles Jeanne et Suzanne Liébard sont comptables, Jeane Brûlé est dactylographe, Germaine Delapierre est, elle, licenciée en philosophie » (p.56). Tout n’est pourtant pas idyllique et plusieurs barrières se dressent devant ces premières footballeuses.
Si l’intérêt des pratiques sportives des femmes est avancé à travers un discours patriotique promouvant la nécessité d’avoir des « des femmes robustes capables de lui donner des enfants sains, vigoureux et nombreux », idée portée y compris par la grande artisane du sport au féminin Alice Milliat (« Considérations générales », Bulletin des sociétés féminines françaises de sports et gymnastique, oct.-nov. 1920), le football fait l’objet d’un traitement différencié au regard d’autres disciplines telles que la danse.
Les discours « scientifiques », ancrés de sexisme, cherchent alors à dénoncer à tout prix la pratique du football par les femmes. Divers arguments sont avancés : l’idée que les femmes seraient moins puissantes que les hommes, que le football s’oppose à leur « devoir de maternité », à leur devoir d’être belles et également au fait que la violence du monde du sport se retrouve sur les terrains des footballeuses. Les écrits et paroles de nombreux hommes reconnus à l’époque et retranscrits par L. Prudhomme-Poncent en sont de parfaites illustrations. E. Lenglet (Le football. L’association, Paris : éd. Nillson, s.d.) explique ainsi que « tous les jeux ou tous les sports qui comportent des chocs de joueur à joueur, ne sont pas compatibles avec l’élégance et la grâce qui sont les caractéristiques du féminin » , là où le docteur Pierre Faidherbe (« Sur l’athlétisme féminin », 9-11 sept. 1922) défend la thèse selon laquelle « l’athlétisme féminin est un danger social s’il détourne une seule femme de son véritable but : la maternité ». Le football est alors massivement jugé comme un sport trop violent et trop compétitif pour les femmes mais aussi, responsable de leur enlaidissement et de leur virilisation.
Il n’est par ailleurs pas dénué de sens de constater qu’un certain nombre de freins au développement explicités dans les années 1920 restent d’actualité au début du XXIe siècle : manque d’accès aux terrains (priorisés pour les hommes), manque d’engagement financier, qualité de jeu pointée du doigt, discours différencialistes et sexistes.
La « propagande anti-football féminin » est telle que l’enthousiasme des premières années régresse. Les obstacles dressés sont trop importants pour assurer un développement à long terme. La docteure en Staps explique ainsi qu’Alice Milliat, elle-même, ne crois plus à l’avenir du football féminin en 1926, bien qu’elle fût une de celles qui ont permis ses premiers pas en France. C’est finalement le gouvernement de Vichy qui en 1940 marque un coup d’arrêt brutal en interdisant toute pratique du football par des femmes.
Dans la deuxième partie de son livre, l’autrice s’intéresse au deuxième temps fort du développement du « football féminin », les années 1960-1970. Cette « renaissance » part de l’Est français, et plus précisément de l’Alsace et de la Champagne-Ardenne, qui s’affirment, à l’époque, comme les premières régions des footballeuses françaises. Après quelques essais et un développement local important, avec une mobilisation des ligues régionales, les années 1970 sont finalement marquées par un temps d’institutionnalisation des pratiques.
Si les ligues régionales sont ainsi les premières à organiser les pratiques, la fédération française de football (FFF) décide finalement de prendre les rênes du « football féminin » dans une action qui ressemble davantage à une dynamique de contrôle qu’à une réelle volonté de développement. L’idée pour ces dirigeants est en réalité d’organiser les pratiques féminines selon le modèle masculin et sous le giron masculin pour éviter que ces néo-licenciées ne puissent leur échappent.
Les premiers temps sont alors marqués par une adaptation des pratiques (des réflexions sont mises en place pour adapter les règles pour les footballeuses), un refus strict de mixité et une absence de championnat. Cela se retrouve d’ailleurs à l’échelle internationale puisque la première Coupe du monde femmes est organisée en 1991… soit près de 60 ans après la première édition masculine (Mondial 1930). Ces pratiques sont également désordonnées, amatrices, sans réel entraînement ou module de progression envisagé. On peut noter à ce titre que le premier Central national d’entraînement et de formation féminin n’ouvre ses portes qu’en août 1998, quelques années après la première section sport-études « football féminin » (Delles, 1991).
Les détracteurs des pratiques féminines du football reprennent alors dans leurs discours des arguments de leurs prédécesseurs. Laurence Prudhomme-Poncet explique ainsi que
« bien que la formulation soit renouvelée, l’argumentaire comporte de nombreux points communs : la dureté du jeu, l’ « abandon » de la féminité ou la virilisation des corps, la faiblesse du niveau de jeu proposé, en bref l’inadéquation des femmes au football contrairement au basket-ball. » (p.271)
Dans le même temps, les footballeuses sont marquées d’anonymat, reléguée sur des terrains annexes et absentes du traitement médiatique sportif. Elles font également face aux moqueries en nombre des spectateurs venant les observer. Par la suite, on observe un passage d’une non-médiatisation à une mal-médiatisation, l’absence de traitement étant remplacé par une érotisation des discours sur les footballeuses.
Cet ouvrage essentiel permet de retracer avec précision le contexte et les modalités de développement du « football féminin » français. Si les footballeuses ne se revendiquent pas (ou peu) féministes, Laurence Prudhomme-Poncet parle d’un « féminisme en action ». Les joueuses sont par leurs pratiques, des femmes mobilisées et en opposition aux discours sexistes et patriarcaux de la société.
Il n’est en cela guère étonnant d’observer une correspondance entre les deux temps marquant l’essor du football au féminin et les deux vagues féministes, des Suffragistes d’abord puis du Mouvement de Libération des Femmes (MLF).
Cette histoire d’une « appropriation par les femmes d’une pratique sur le temps long » constitue en cela un ouvrage essentiel pour mieux comprendre les inégalités contemporaines, dans le sport et dans la société (p.18). La nouvelle place des footballeuses dans les années 2010/2020 peut d’ailleurs être à nouveau associé à une nouvelle réflexion entre football et féminisme. En effet, les footballeuses n’hésitent plus à porter elles-mêmes ces discours anti-patriarcaux (au-delà des actes), à l’image des deux ballons d’or Ada Hegerberg et Megan Rapinoe. Une évolution, qui témoigne d’un changement de paradigme dans la société. De là à entrevoir une fin possible du patriarcat ?
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